Sur une assiette bien ronde en porcelaine bien réelle
Une pomme pose
Face à face avec elle
Un peintre de la réalité
Essaie vainement de peindre
La pomme telle qu’elle est
Mais
Elle ne se laisse pas faire
La pomme
Elle a son mot à dire
Et plusieurs tours dans son sac de pomme
La pomme
Et la voilà qui tourne
Dans son assiette réelle
Sournoisement sur elle-même
Doucement sans bouger
Et comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz
Parce qu’on veut malgré lui lui tirer le portrait
La pomme se déguise en beau fruit déguisé
Et c’est alors que le peintre de la réalité
Commence à réaliser
Que toutes les apparences de la pomme sont contre lui
Une pomme pose
Face à face avec elle
Un peintre de la réalité
Essaie vainement de peindre
La pomme telle qu’elle est
Mais
Elle ne se laisse pas faire
La pomme
Elle a son mot à dire
Et plusieurs tours dans son sac de pomme
La pomme
Et la voilà qui tourne
Dans son assiette réelle
Sournoisement sur elle-même
Doucement sans bouger
Et comme un duc de Guise qui se déguise en bec de gaz
Parce qu’on veut malgré lui lui tirer le portrait
La pomme se déguise en beau fruit déguisé
Et c’est alors que le peintre de la réalité
Commence à réaliser
Que toutes les apparences de la pomme sont contre lui
Et
Comme le malheureux indigent
Comme le pauvre nécessiteux qui se trouve soudain à la merci de n’importe quelle association
bienfaisante et charitable et redoutable de bienfaisance de charité et de redoutabilité
Le malheureux peintre de la réalité
Se trouve alors être la triste proie
D’une innombrable foule d’associations d’idées
Et la pomme en tournant évoque le pommier
Le Paradis terrestre et Eve et puis Adam
L’arrosoir l’espalier Parmentier l’escalier
Le Canada les Hespérides la Normandie la Reinette et l’Api
Le serpent du jeu de Paume le serment du Jus de Pomme
Et le péché originel
Et les origines de l’art
Et la Suisse avec Guillaume Tell
Et même Isaac Newton
Plusieurs fois primé à l’Exposition de la Gravitation Universelle
Et le peintre étourdi perd de vue son modèle
Et s’endort
C’est alors que Picasso
Qui passait par là comme il passe partout
Chaque jour comme chez lui
Voit la pomme et l’assiette et le peintre endormi
Quelle idée de peindre une pomme
Dit Picasso
Et Picasso mange la pomme
Et la pomme lui dit Merci
Et Picasso casse l’assiette
Et s’en va en souriant
Et le peintre arraché à ses songes
Comme une dent
Se retrouve tout seul devant sa toile inachevée
Avec au beau milieu de sa vaisselle brisée
Les terrifiants pépins de la réalité.
(Jacques Prévert, La promenade de Picasso, Paroles, 1949)
Le jardin de la mairie et une bancelle en pierre
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